Solaris est une planète découverte il y a 200 ans. Diverses expéditions de recherche ont tenté de comprendre les mécanismes de la planète et sa faculté à modifier son évolution autour des deux soleils du système auquel elle appartient.
La planète est constituée en un vaste océan qui est nimbé de mystères : un astronaute qui s'en était approché a observé d'étranges apparitions. Depuis plusieurs décennies, la solaristique, science qui traite de l'observation de Solaris, veut en percer les mystères. Deux courants s'opposent : certains scientifiques, persuadés que l'océan est une entité intelligente veulent entrer en contact avec lui, d'autres, prônent la manière forte, seule manière à leurs yeux de rentrer en contact.
Finalement, le psychologue Kris Kelvin, débarque sur la station orbitale terrienne de Solaris, après la mort mystérieuse d'un chercheur. A l'intérieur du satellite de recherche, l'ambiance est étrange : l'Océan de Solaris créé des êtres de chair et de sang, issus des souvenirs des habitants de la station. En plein sommeil, Klein découvre dans sa chambre, la femme qu'il a aimé plusieurs années auparavant et qui s'était suicidé, après leur rupture. Commence alors pour lui un chemin de doute, d'angoisse, et de folie.
POINTS POSITIFS ET NEGATIFS
+ Solaris est le récit de la rencontre extra-terrestre la plus énigmatique de toute l'histoire du cinéma de science-fiction
+ L'antagonisme des scènes sur Terre et sur la station orbitale participent à l'ambiance incomparable du film
- Quelques longueurs...
Communication du troisième type
Solaris est gouverné par deux incompréhensions. L'être humain est non seulement incapable de comprendre l'univers, mais il est également incapable de se comprendre lui-même, d'analyser posément ses émotions. A partir du matériau original, le roman de Stanislas Lem, Tarkovsky explore ces deux thèmes et les développe. Nous suivons la vision et les luttes internes de Kris Kelvin, bercé entre le désir de reconstruire un amour perdu avec la femme qu'il a aimé et qui s'est suicidé et la répulsion de cette résurrection impossible. Peu à peu, il perçoit le désir de communication de l'entité intelligente qui gouverne la planète Solaris, capable de modifier imperceptiblement la révolution de la planète autour de ses deux astres solaires.
Solaris est également le récit de la rencontre extra-terrestre la plus énigmatique de toute l'histoire du cinéma de science-fiction : ici pas de communication préétablie comme dans " E.T. " qui téléphone maison. Le dialogue est beaucoup plus subtil, lent et difficile à établir, véritable torture pour l'esprit de Klein.
La lenteur du récit, le découpage en deux parties bien distinctes Terre/Solaris, l'absence totale de sensationnalisme (on ne voit que la surface de Solaris), les "apparitions" des autres protagonistes à peine suggérées (visibles l'espace de quelques secondes), la concentration de l'action sur un seul personnage (le dilemme de Kelvin science-réalisme/amour-nostalgie) et l'antagonisme des scènes sur Terre et sur la station orbitale participent à l'ambiance incomparable du film. On a longtemps voulu en faire un 2001, l'odyssée de l'espace, version russe, rendons une fois pour toute hommage à l'œuvre de Tarkovsky. Une ode à la communication, la première rencontre extra-terrestre "adulte" de la science-fiction.
Incomparable
La production de Solaris a commencé en 1969, peu après la sortie d'Andreï Roublev, pour une sortie cinéma en 1972. D'emblée, le film est considéré comme la réponse des pays de l'Est à 2001, l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick. Malheureusement, la comparaison ne tourne pas à son avantage, beaucoup de critiques portent sur la lenteur et le manque de visions de l'avenir du film. Le huis-clos quasi analytique de Tarkovsky déplaît, car beaucoup s'attendaient à une débauche d'effets spéciaux à la Kubrick.
L'idée d'une planète pensante qui a la capacité de puiser dans les pensées humaines catalyse les questionnements du réalisateur : la nostalgie, la fidélité, la culpabilité, les transformations morales devant un événement inconnu... Il déclarait à la sortie du film : " Les pensées profondes du roman n'ont rien à voir avec le genre de roman de science-fiction pour lequel il est écrit, l'amour peut se déplacer dans n'importe quel contexte".
Tarkovsky part du roman de Stanislas Lem en faisant de Kelvin le personnage central de l'histoire, nous le suivons torturé par l'envie d'aimer cette apparition impossible et le désir de repousser l'inavouable. Une séquence incroyable montre Khari, l'apparition-neutrino femme de Kelvin, scrutant les moindres détails d'une œuvre de Pierre Brueghel " Chasseurs dans la neige ", comme pour mieux s'imprégner des images qu'elles n'a jusqu'alors jamais eues.
Tarkovsky et Solaris
Solaris est le film d'Andreï Tarkovski qui a eu le plus d'audience en dehors de l'Union soviétique mais Tarkovsky lui-même l'aurait considéré comme l'un de ses moins bons films. La comparaison entre Solaris et 2001, l'odyssée de l'espace (1968) est souvent relatée mais Andrei Tarkovsky n'avait pas vu ce film avant le tournage de "Solaris". Après avoir vu 2001, l'odyssée de l'espace, il l'a critiqué pour son caractère "stérile".
Don Quichotte, Andreï Roublev et Pierre Brueghel l'ancien
Le film fait plusieurs fois référence au "Don Quichotte" de Cervantes. Dans la bibliothèque, Snaut cite le roman ("Jamais auparavant, Sancho, je ne t'ai entendu parler avec autant d'élégance que maintenant.") À un moment donné, le Dr Snaut fait également référence à l'inclinaison des moulins à vent, et pendant la scène en apesanteur, une copie ouverte de Don Quichotte passe en volant, montrant le chevalier errant sur son coursier Rosinante.
Dans la chambre de Kris Kelvin, on aperçoit une icône peinte par Andreï Roublev, le peintre russe dont Tarkovsky a réalisé la biographie en 1966.
Outre le tableau de Pierre Brueghel l'Ancien "Chasseurs dans la neige", qui est présent dans la bibliothèque, trois autres de ses tableaux y sont exposés pendant la scène d'apesanteur : "Paysage avec la chute d'Icare", "Les moissonneurs" et "La journée lugubre, début du printemps".
Voyage à Tokyo
La trés longue scène qui suit Berton alors qu'il rentre en ville a été filmée à Osaka et à Tokyo. Les voyages à l'étranger n'étaient pas facilement autorisés au début des années 70, est-ce la raison pour laquelle cette longue scène a été laissée in extenso dans le film pour justifier ce voyage pour le réalisateur et l'équipe ?
Tarkovsky, l'icône russe du cinéma
Le réalisateur soviétique le plus célèbre depuis Sergei M. Eisenstein est le fils du poète Arseniy Tarkovsky. Il a étudié la musique et l'arabe à Moscou avant de s'inscrire à l'école de cinéma soviétique VGIK. Rapidement, il attire l'attention de la critique internationale avec Ivanovo detstvo (1962), qui a gagné le premier prix à la Mostra de Venise. De grandes espérances sont associées à son prochain film, Andreï Roublev en 1969. Malheureusement, ce dernier est interdit par les autorités soviétiques jusqu'en 1971.
Le film est projeté au Festival de Cannes en 1969, le dernier jour du Festival et à quatre heures du matin (!) bénéficiant ainsi d'une publicité très limitée décidée par les distributeurs russes. Il empoche néanmoins un prix, ce qui lui permettra au moins d'être diffusé à l'étranger.
Solaris (1972), a eu une carrière plus facile, acclamé par beaucoup de critiques aux Etats-Unis et en Europe. En 1975, il rencontre encore l'échec officiel des autorités russes avec Zerkalo (1975), une film dense, quasi autobiographique, contenant beaucoup d'innovations dans la forme cinématographique -trop diront certains. Stalker en 1979 faillit mourir dans l'œuf : un incendie détruit la première version du film juste après le montage, nécessitant un second travail pour le réalisateur quelques semaines avant sa sortie en salles. Après Nostalgia en 1983 et Le Voyage en Italie, Tarkovsky passe définitivement à l'Ouest, quittant sa Russie natale. Son dernier film, Le sacrifice (1986) a été filmé en Suède avec beaucoup de collaborateurs de Ingmar Bergman. Il a remporté quatre prix à la Fête de Film de Cannes. Andreï Tarkovsky est mort d'un cancer à en fin de cette même année 1986.
Filmographie :
Ubijtsi, The Killers (titre anglais), 1958.
Kontsentrat, Extract (titre anglais), 1958.
Segodnya uvolneniya ne budet, There Will Be No Leave Today (titre anglais littéral), 1959.
Katok i skripka, The Steamroller and the Violin (titre anglais), 1960.
Ivanovo detstvo, Mon Nom est Ivan, 1962.
Andreï Roublev, 1969.
Solyaris, Solaris, 1972.
Zerkalo, le Miroir, 1975.
Stalker, 1979.
Tempo di viaggio, 1983.
Nostalghia, Nostalgia, 1983.
Offret, Le sacrifice, 1986.
Stanislas Lem
Cet écrivain polonais, né en 1921 à Lvov, a été résistant puis mécanicien durant la seconde guerre mondiale, après avoir été contraint d'abandonner ses études sous le joug nazi. Ce touche à tout de génie, passionné de philosophie, d'astronautique - il a été membre fondateur de la Société Polonaise d'Astronautique - se tourne ensuite vers une carrière de journaliste et d'écrivain. On compare volontiers son œuvre à Kafka, Voltaire ou Jonathan Swift, mélange de romans austères où l'homme s'interroge sur sa place dans l'univers et sur la planète Terre (Solaris), et de S-F imprégnée d'humour et de satire (La Cybériade, Le congrès de futurologie)…
Quelques romans de Lem : Solaris, La Cybériade, Le congrès de futurologie, Mémoires trouvés dans une baignoire, Le rhume, La voix du maître.
Citations
Andreï Tarkovsky, réalisateur :
"J'ai besoin de la Terre pour souligner le contraste. Je voulais que le spectateur puisse apprécier la beauté de la Terre, ressentir cette douleur salutaire de la nostalgie ." - (L'Ecran 73 - 07/08-1973)
"J'ai toujours repoussé le terme de science-fiction, mais je dois admettre que Solaris est de la science-fiction. Je n'ai pas été capable d'obtenir un résultat différent. L'idée que j'avais, durant le tournage du film, était de transférer tout le sujet sur Terre... Je n'y ai pas réussi."
Stanislas Lem, Solaris :
"L'existence de ce colosse pensant ne cesserait plus de tourmenter les hommes. Quand bien même l'Homme aurait exploré en tous sens les espaces cosmiques, quand même il aurait établi des rapports avec d'autres civilisations fondées par des êtres qui nous ressemblent, Solaris demeurerait une provocation éternelle."
Solaris (id.), 1972, Andrei Tarkovsky, URSS.
Couleurs/Noir et Blanc par Sovcolor. Son : Mono.
Durée : 2h47. Le film a fait l'objet d'un montage, destiné aux distributeurs américains, d'une durée de 2h12.
Distributeur : .
Réalisateur : Andrei Tarkovsky.
Sociétés de production : Mosfilm, Chetvyortoe Tvorcheskoe Obedinenie.
Distributeurs : Potemkine Films (2017) (France) (version restaurée) Sovexportfilm.
Producteur : Viacheslav Tarasov.
Producteurs exécutifs : .
Scénario : Fridrikh Gorenshtein et Andrei Tarkovsky d'après le roman de Stanislas Lem.
Directeur de la photo : Vadim Yusov.
Montage : Lyudmila Feiginova, Nina Marcus (version US).
Directeur de production : Mikhail Romadin.
Costumes : Yelena Fomina.
Musique originale : Eduard Artemyev, Vyacheslav Ovchinnikov (non-crédité).
Musique : Jean Sebastien Bach (Chorale prelude en fa mineur).
Effets spéciaux (société) : Mosfilm F/X Unit.
Interprètes : Natalya Bondarchuk (Khari), Donatas Banionis (Kris Kelvin), Jüri Järvet (Dr. Snauth), Vladislav Dvorzhetsky (Berton), Nikolai Grinko (le père de Kelvin), Anatoli Solonitsyn (Dr. Sartorius), Sos Sarkisyan (Dr. Gibaryan), Olga Barnet (la mère).
Palmarès : Grand Prix du jury de Cannes 1972, nominé pour la Palme d'Or.
Dates de sortie : 20 Mars 1972 (Union Soviétique), 13 Mai 1972 (France - Festival de Cannes), 27 Février 1974 (France), 24 Aout 1973 (Finlande), 1979 (USA), République Tchèque (30 Janvier 2001, nouveau montage), 11 September 2001 (DVD russe).
Budget estimé : 1MRUR
Florent Houde*****
Imaginez une planète recouverte d'un immense océan étale, masquée par une épaisse couche de brume opaque et mystérieuse. De la planète parviennent jusqu'aux observateurs de la station orbitale terrienne les images hypnotiques des ondes et circonvolutions sur la surface aqueuse de Solaris. Chris Kelvine est un psychologue que le gouvernement envoie sur la station d'observation pour une ultime tentative de percer le secret de la science solaristique. Il doit rejoindre trois autres scientifiques en orbite depuis déjà pas mal de temps. Il semblerait cependant qu'ils aient quelque peu perdu la raison et que la planète soit à l'origine de leur désordre mental. Kelvine s'apercevra bientôt que ces scientifiques ne sont pas les seuls occupants de la station.
Incompris à sa sortie au festival de Cannes en 1972, "Solaris" peut être vu comme une réponse âpre et austère au tourbillon multicolore du "2001, Odyssée de l'espace" de Kubrick. Au-delà du simple scénario d'anticipation (que le cinéma russe affectionne depuis "Aelita"), Andreï Tarkovski, auteur et réalisateur du film, s'inspirant du roman polonais de Stanislav Lem, insuffle dans son propos un courant va bien à l'encontre de celui du tandem Clark/Kubrick. Chez les uns, la technologie se conçoit comme une porte ouverte vers l'avenir et la naissance d'une nouvel élan pour l'humanité. Chez l'autre, au contraire, la pensée pragmatique et la recherche de la vérité scientifique constituent de vraies barrières pour l'esprit humain qui ne doit pas avoir de limites. Sur la station, l'antipathique professeur Sartorius représente la pensée scientifique dans l'absolue, écho du pouvoir politique (dont le modèle est encore celui du Marxisme/Léninisme de l'Union soviétique) qui ne pense qu'à irradier la planète pour en neutraliser les effets. Kelvine, lui, incarne cet esprit ouvert, qui a tout quitté sur la terre n'emportant avec lui que des regrets et la nostalgie du temps passé, de l'amour perdu qu'il retrouvera sur Solaris.
"Solaris" est un film très lent qui se déroule au gré de longs plans-séquences comme un poème chromatique et visuel. L'utilisation de filtres de couleur pour signifier différents états ou contextes du film fera très largement école chez d'autres réalisateurs (pensez à Soderberg). Un tout particulier est donné aux décors très froids de la station qui semble une épave dérivant au-dessus de la surface pure de la planète. La qualité du cadrage (Tarkovski était passionné par l'art des primitifs flamands) s'accompagne d'une ambiance musicale electro-accoustique avant-gardiste composée par Edouard Artémiev. A bien des égards le film rappelle "2001" : une brève étreinte en apesanteur sur une musique de Bach, une séquence vertigineuse au travers des tunnels d'un immense échangeur autoroutier, de profonds travellings dans les couloirs de la station. Un ensemble d'éléments qui nous permettent de suivre le cheminement de Kelvine vers Solaris comme un retour vers lui-même, vers les moments perdus d'autrefois.
*Le hors-champ est la partie de la scène qui n'apparaît pas dans un plan d'un film parce qu'elle n'est pas interceptée par le champ de l'optique de la caméra que ce champ soit invariable (plan fixe), ou variable (plan où la caméra effectue un mouvement (panoramique et/ou travelling) et/ou un zoom).
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