LE MONDE APRES NOUS (2023)

Un faux huis clos hitchcockien qui prend le temps de poser son style, de donner son rythme lancinant, pour mieux nous plonger dans l'effroi et la sidération.

Le film se nourrit des récents évènements qui fissurent l'Amérique :  Black Lives Matter, l'assaut du capitole par les partisans de Donald Trump... pour mieux nous rendre plausible, dans une société américaine -et occidentale- plus que divisée, la possibilité d'une déstabilisation d'un état : instaurez la peur, produisez de la désinformation, créez la possibilité de pénurie des énergies et des biens, et la vraie nature des personnes se révèle et peut conduire à à la guerre civile. Le propos n'est plus l'apocalypse qui frappe à la porte mais les trajets psychologiques des individus face à des événements tragiques. L'autodestruction s'alimente des divisions croissantes de nos sociétés : abandonner l'étranger dans le besoin, tourner le dos à ses voisins, rejeter les gens à cause de leur couleur, utiliser les ressources de la nature à outrance...

Mise en scène acérée, acteurs au diapason (Julia Roberts, Mahershala, Ethan Hawke, Kevin Bacon en tête), laissant une fin ouverte à la libre interprétation, Le Monde après nous est un grand film qui prolonge la réflexion longtemps après son visionnage.

Le Monde après nous dans lequel nous plonge le réalisateur américain Sam Esmail, est l'adaptation du roman éponyme publié en 2020 par Rumaan Alam. Le film est notamment produit par Barack Obama et Michelle Obama, via leur société de production Higher Ground Productions.

Le film raconte le week-end de vacances d'un couple avec leurs deux enfants adolescents. Leur parenthèse de repos est interrompue par l'arrivée d'un homme noir et de sa fille, soit disant propriétaires de la maison de vacances, et qui ont fui une panne d'électricité dans la ville. Lorsque l'internet, la télévision et la radio cessent de fonctionner, tout comme la ligne fixe, ils n'ont aucun moyen de savoir ce qui se passe. Alors que d'étranges bangs soniques brisent la paix de la campagne et que les animaux commencent à migrer de façon étrange, la santé physique et mentale des familles commence à se désintégrer. Dans le huis clos de la maison, les doutes s'installent, les questions raciales se heurtent mais des choses plus alarmantes se produisent tout autour d'eux...

Sam Esmail a été le créateur, le producteur exécutif et le principal scénariste et réalisateur de la série télévisée Mr. Robot, un thriller de science-fiction, diffusée sur USA Network à partir du 24 juin 2015 et qui perdurera 4 saisons (45 épisodes).

Quelques jours après sa diffusion sur Netflix, le film suscite de nombreuses réactions, la plateforme réussit un pari risqué, avec un film ambitieux, confirmant la notoriété de Julia Roberts : en 3 jours le film a été vu par 41,7 d'abonnés !

Un monde sans Tesla

Dans Le monde après nous, les Etats-Unis sont victimes d'une cyberattaque, plusieurs experts en cybersécurité ont débusqué les failles (de sécurité) du film. où les protagonistes tentent de survivre dans une maison isolée où toutes les communications ne fonctionnent plus et le GPS ne guide plus personne. Parmi les scènes inquiétantes, il y a l'attaque des voitures Tesla piratées qui se percutent entre elles et s'en prennent aux protagonistes. Le réalisateur Sam Esmail à déclaré vouloir ajouter des éléments concrets conséquents à la cyberattaque : "Je voulais faire un film catastrophe ayant la cyberattaque comme catalyseur. Le roman est bien mais les scènes catastrophes y sont assez vagues. J’ai décidé d’y ajouter des éléments visibles...Si ça fonctionne aussi bien, c’est parce qu’il y a quelque chose de très mystique autour de ça. Je ne pense pas que les gens savent à quoi peut vraiment ressembler une cyberattaque. Je voulais que les personnages ressentent vraiment le danger que ça peut être avec cette scène."

Elon Musk, a visiblement évité la critique directe en répondant sur X lors de la sortie du film sur Netflix  : “Les Teslas peuvent se recharger à partir de panneaux solaires même si le monde devient semblable à celui de Mad Max et qu'il n'y a plus d'essence !”  

La scène ajoutée

Une scène du film a été ajoutée au dernier moment avant sa diffusion sur Netflix. Sam Esmail, le réalisateur, a expliqué ce choix de dernière minute dans un interview au site Collider, malgré les inquiétudes concernant la durée et le rythme du film.

 La scène entre les personnages de Julia Roberts et Mahershala Ali est décrite comme une conversation qui les aide à trouver un terrain plus stable l'un avec l'autre et aborde le thème de l'incapacité de certaines personnes à apprendre de leurs croyances préconçues. Esmail a souhaité ainsi donner la priorité à l'histoire plutôt qu'à un rythme concis, estimant que la scène était trop importante pour être omise et qu'elle contribuait grandement à définir le véritable sujet de l'histoire. Il déclare : " C'est trop important pour le thème du film pour la laisser sur le plancher de la salle de montage. 

Attention spoïlers !

La scène se déroule la deuxième nuit suivant l'arrivée de G.H. et de sa fille Ruth (Myha'la) à la maison. Après une première journée tendue, G.H. (Mahershala Ali) et Amanda (Julia Roberts) ont une conversation au cours de laquelle ils trouvent un terrain d'entente un peu plus stable. Alors qu'ils réfléchissent aux événements survenus jusqu'à présent, G.H. fait remarquer que certaines personnes ont du mal à séparer les croyances préconçues de la vérité réelle, expliquant que parmi ces personnes, certaines "sont incapables d'apprendre, même à leurs propres dépens". Dans un premier temps, l'échange a été supprimé pour des raisons de rythme, mais il est resté dans l'esprit d'Esmail.

"Toute cette partie avait été coupée et ne figurait pas dans le film depuis longtemps parce que, d'une manière générale, cette nuit dans la maison ne comporte pas beaucoup d'action, mais beaucoup d'introspection et de dialogue. En particulier avec G.H. et Amanda, cette scène est incroyablement longue parce qu'ils passent par beaucoup de vagues de conversation différentes. Cette scène a donc été reprise du film parce que je voulais vraiment garder un rythme serré, en particulier dans cette section, mais quelque chose m'a vraiment rongé pendant tout le temps que nous avons passé à la mixer" déclare le réalisateur.

"J'ai entendu la réaction du film : 'C'est un peu long et lent', mais en fin de compte, je pense qu'il faut respecter l'histoire, et parfois le rythme peut s'y opposer. Mais l'histoire est reine, l'histoire est la priorité, et j'ai pensé que ce moment a largement contribué à faire ressortir le véritable enjeu de l'histoire".

Références

Plusieurs éléments du film font clairement référence au passé esclavagiste des Etats-Unis. Le nom du pétrolier qui s'échoue sur la plage est le White Lion. Le White Lion a été le premier navire à transporter des esclaves africains vers les colonies.

Dans la scène de l'auto avec Clay, la fréquence radio de l'autoradio est  1619, est une autre référence au navire White Lion qui a été le premier navire à amener des esclaves africains dans les colonies anglaises en 1619.

Le voisin de GH s'appelle Huxley, en hommage à l'écrivain Aldous Huxley, auteur du Meilleur des mondes et d'autres romans qui dépeignent des avenirs dystopiques où la technologie est devenue l'élément qui corrompt l'humanité et est utilisée pour nuire aux gens.

Pour les fans de la série Mr. Robot, réalisée par Sam Esmail, ce film se déroule dans le même monde que la série, avec plusieurs "easter eggs" dans le film. Si vous avez regardé la série, ce film se déroule 4-5 ans après la fin de Mr. Robot.

Tract arabe

Le tract en arabe distribué par voix aérienne (qui télescope dans l'actualité actuelle les tracts israéliens envoyés sur la bande de Gaza) est traduit comme ceci : "Mort à l'Amérique" au recto, et au verso : "Nous vous demandons de prêter immédiatement attention à ce que nous disons dans cette publication. Nous disposons des explosifs les plus dangereux et les plus destructeurs de l'histoire et nous vous laissons le soin d'examiner ce fait horrible et de souligner la validité de ce qui est dit. Je l'utilise sur votre terre et des mesures doivent être prises pour arrêter la résistance construite pour la cession pacifique de votre terre."

Tout en bleu

La couleur bleue est très présente tout au long du film, en particulier autour de la famille Sanford. La chambre des Sanford, les vêtements portés par Amanda, leur voiture et d'autres détails mineurs sont tous bleus.

Friends

Dans ce film, la fille de Julia Roberts, Rose, est obsédée par la série Friends. Julia Roberts a non seulement joué dans un épisode de Friends, mais elle a également fréquenté Matthew Perry (qui jouait le rôle de Chandler Bing) pendant une courte période.

La série Friends représente pour l'auteur du roman une époque révolue, où les gens avaient des relations sociales et pouvaient se parler librement. Dans le film, Ruth déclare que regarder Friends, c'est être "nostalgique d'une époque qui n'a jamais existé". Cette phrase reprend presque mot pour mot une composition de Jello Biafra (chanteur et militant écologiste américain) et Mojo Nixon, "Nostalgia for an Age That Never Existed", sortie en mars 1994, six mois seulement avant les débuts de Friends. Les paroles décrivent la tendance à sublimer les décennies passées (le "c'était mieux avant" en français), mais il s'agit aussi d'une condamnation de l'idéalisation de l'époque actuelle, perçue ici, aux yeux du présent, comme étant exactement la même chose.

Le bunker

Le bunker du film (qui n'est pas présent dans le roman) est fabriqué par une société appelée "Commodus Survival Shelters". Commode était un empereur romain dont le règne a marqué la fin de la "Pax Romana", âge d'or de paix et de prospérité dans l'histoire de l'Empire romain. Le bunker symbolise la chute réelle et irréversible de la puissance américaine, et il représente ce qui deviendra le dernier vestige de la prospérité américaine dans une nouvelle ère d'effondrement de l'Amérique.

Sans dévoiler la fin du film, le réalisateur s'explique sur son choix de fin ouverte : "J’aime les films qui provoquent quelque chose chez le spectateur et qui le poussent à engager la conversation. Il y a des films - que j’ai aimés - mais qui vous donnent toutes les réponses à la fin. Et l’expérience s’arrête là. Alors que les films qui s’achèvent sur une question laisse la place à une interprétation. Cela permet d’en débattre avec vos proches”.

Le monde après nous (Leave the world behind), Sam Esmail, 2023, Etats-Unis.

Son : Dolby Digital. Format d'image : 2.35.

Réalisateur : Sam Esmail. Durée : 2h18.

Productions : Esmail Corp., Higher Ground Productions, Netflix Studios, Red Om Films.

Distribution France : Netflix France.

Producteurs : Sam Esmail, Marisa Yeres Gill, Lisa Roberts Gillan, Chad Hamilton, Julia Roberts.

Producteurs exécutifs : Rumaan Alam, Tonia Davis, Nick Krishnamurthy, Barack Obama, Michelle Obama, Daniel M. Stillman.

Co-producteurs : Adam Brightman, Peter Kohn.

Producteurs associés : Michele Caspani, Sean Schuyler, Gregg Tilson, Dione Wood.

Scénario : Sam Esmail d'après le roman de Rumaan Alam.

Effets spéciaux (sociétés) : Framestore, El Ranchito, Distillery VFX, 

Instinctual VFX, The Old Firm, Image Engine Design, The Third Floor, OPSIS, NYCAP3D.

Directeur de la photographie : Tod Campbell.

Montage : Lisa Lassek.

Musique : Mac Quayle.

Casting : Beth Bowling, Susie Farris

Chef décorateur : Anastasia White.

Direction artistique : Christine Foley.

Décorateur plateau : David Schlesinger.

Costumes : Catherine Marie Thomas.

Interprètes : Julia Roberts (Amanda Sandford), Mahershala Ali (G. H. Scott), Ethan Hawke (Clay Sandford), Myha'la (Ruth Scott), Farrah Mackenzie (Rose Sandford), Charlie Evans (Archie Sandford), Kevin Bacon (Danny), Alexis Rae Forlenza (la fille de Danny), Vanessa Aspillaga (Salvadora), Josh Drennen (l'officier Crow), Erica Cho (Jocelyn), Orli Gottesman (Taylor)...

Date de sortie française :  8 Décembre 2023 (Netflix)

Budget estimé :